Le fait théâtral – Illusion – virtuel - réalité… et les Trolls ?

Le seul théâtre de nos esprits, prototype du reste…
Mallarmé

Le théâtre est un miroir. Il est le reflet d’une histoire, d’une société.
Cette réalité théâtrale, loin de nous effrayer, nous attire…
L’illusion crée la fiction, et le problème n’est pas tant de savoir si cette fiction est vraie ou fausse, car elle est autre.
Le metteur en scène et l’acteur sont bien de véritables « illusionnistes ».
L’illusion appartient au monde de l’imaginaire, c’est pourquoi le public ; peut croire aux « rêves » du théâtre.

Lors d’une représentation théâtrale, le Moi réel cède sa place au Moi illusionné ; ainsi le spectateur peut se libérer de toutes les contraintes (qui, elles, font partie de son inconscient) engendrées par la réalité. L’illusion, par le biais de l’identification, est donc la libération de nos fantasmes. Entre l’acteur et le spectateur, s’installe une complicité, qui, par le jeu de l’image, va permettre l’identification.

Qu’est-ce donc que le théâtre, sinon une oscillation permanente entre le monde du symbole et celui de l’imaginaire, " l’espace où tend le désir mais pour sa déception finale, le lieu où le fantasme se déploie dans l’inaccessible et d’où le Moi « réel » revient plus seul et plus nu qu’avant, dans le souvenir nostalgique cette "autre scène" vers laquelle la vraie scène avait basculé ". (O. Mannoni – Clefs pour l’Imaginaire ou l’autre scène)

Les deux pôles de l’illusion théâtrale :

Le comique et le tragique


La division existant entre ces deux notions est intéressante…
Le comique et le tragique correspondent à deux modes de production, d’effets différenciés, à partir d’un fond commun où se déploie l’activité fantasmatique du Moi spectateur.

Tout spectacle réunit les mêmes conditions : le système moteur et le système du Moi sont mis hors jeu ; il y a isolement de la scène et du monde réel ; il y a investissement du spectateur (ce qui permet des projections et des identifications).
Ce qu’il s’agit ici d’étudier, ce sont ces deux pôles et surtout leurs effets respectifs.

L’effet comique

Généralement, on associe comique et plaisir. Le processus qui est utilisé pour arriver à ce résultat, est constitué d’un ensemble de techniques (transformations dans les mots et dans les situations).
Qu’est-ce que le rire ?
Le comique résulte d’une observation distanciée du réel accompagnée d’une rupture brutale du schéma attendu et de la participation émotionnelle du spectateur qui est la raison de son identification à la "victime".

Prenons un exemple simple : le spectateur observe un homme qui marche calmement dans une pièce, tenant une tasse de café en se dirigeant vers la porte. Il est maintenant devant la sortie quand brusquement un autre homme ouvre la porte. Le premier homme n’a pas le temps d’amortir le choc : il prend la porte de plein fouet et renverse le café sur sa chemise. Quelle est la réaction du public ? Il éclate de rire. D’où provient ce rire ?
Selon Freud, le rire est une "décharge d’énergie", ceci implique qu’il y ait eu auparavant une charge de tension (d’impulsion ou d’émotion).

Dans le cas présent, le rire provient d’une différence de tension entre le moment où le spectateur observe l’homme marcher (avant le choc) et le moment qui suit le choc.
Durant la première situation, le spectateur a inconsciemment accumulé un « potentiel d’énergie psychique » destiné à programmer les effets et donc prévoir la suite attendue de cette situation. Mais cette prévision est réduite à néant par le choc inattendu. En outre, ce choc provoque l’intervention de nouveaux affects et libère l’énergie précédemment accumulée. Le rire traduit cette libération.

Quelle est la conséquence de l’expression fictive de cette scène quant à la production de l’effet comique ?

Il y a une incidence certaine sur la production de l’effet comique, du fait que tout se passe sur la scène et non dans la réalité (la vie).
L’effet n’est pas identique dans les deux cas. La différence se situe dans "la nature de l’instance psychique impliquée".

Dans la vie, si nous sommes témoins d’une telle scène, c’est notre Moi réel qui est témoin ; notre contiguïté et notre participation affective est maximale alors que notre projection, notre identification est minimale. Au théâtre, c’est notre Moi spectateur qui est témoin. Il est semblable au Moi du rêve et du jeu. Ici, la distance est maximale alors que la participation affective consciente est minimale ; les projections et les identifications se déploient tout à fait librement.


L’effet tragique :

La théorie de la psychanalyse, considère que cette question de l’effet tragique a deux niveaux : il y a d’abord le niveau du sujet en situation tragique, puis le niveau du spectateur qui est confronté à la représentation de cette situation.

Voyons le premier point de vue, c’est-à-dire « le mode de production de "l’effet tragique".

Quelle que soit la situation tragique, nous pouvons dire qu’elle est caractérisée par un manque à combler, (exemple : la quête de l’autre) qui concerne un ou plusieurs sujets ; une série d’appels qui peuvent donner lieu à des articulations dichotomiques (exemple : une personne angoissée qui va faire « une proclamation héroïque » pour surmonter son angoisse)..
Cette structure de la situation tragique est "sous-tendue" par un conflit insoluble de deux principes : le principe de plaisir et le principe de réalité.
Le sujet tragique commence par désinvestir le réel en refusant les adaptations, au contraire de la réalité extérieure de la société. Il s’abandonne alors au principe de plaisir afin de combler le manque de l’Autre.
L’Autre est inaccessible, le sujet a tendance a "surinvestir" dans le Moi, tout ce qu’il ne peut investir, ni dans l’Autre, ni dans le réel. Ce sur-investissement dans le Moi est la cause d’une « situation de Trauma » dont la réalisation se traduit fréquemment dans le meurtre, la folie ou le suicide.
Cette situation de Trauma est le résultat de l’évolution d’une situation où le sujet a un manque à combler, où l’objet est devenu inaccessible, où des affects de douleur et d’angoisse se font jour et où il y a une tentative de résolution par une position de "défense maniaque".
Ce processus de défense est caractérisé par : la négation de l’angoisse, de culpabilité et de la dépression ; par l’action d’un fantasme (sensé dominer les situations d’angoisse) ; par l’identification aux objets susceptibles d’être source de puissance, et par la projection des mauvais aspects du « self » sur les autres. Cette défense (de type maniaque) est une défense d’urgence.

Voyons à présent ce qu’il en est de la réception de l’effet tragique…

Croire que le plaisir est absent de l’effet tragique serait une erreur. Le plaisir a aussi un point d’encrage dans cet effet.
Toute œuvre d’art offre a celui qui l’éprouve une prime de séduction
André Green – Un œil en trop

L’effet tragique implique une identification du spectateur au personnage, ainsi qu’une réaction de terreur.
Le processus est le suivant : le spectateur éprouve de la jouissance, puis, par identification, de la pitié, et par la force même de l’identification, de la terreur.

Le héros tragique est le lieu d’une rencontre entre le pouvoir de l’Aède qui donne vie au fantasme, et le désir du spectateur qui voit son fantasme incarné et représenté.
André Green – Un œil en trop

La structure formelle de l’effet tragique (à savoir la tragédie) correspond à la représentation du mythe du complexe d’Oedipe. C’est ce qui fait tout le pouvoir de l’effet tragique.
Lorsque le spectateur s’identifie au héros tragique, c’est encore et toujours à ses parents qu’il se trouve inconsciemment confronté.
Et quand le héros est victime d’une autorité suprême (ex : les dieux), le spectateur s’étant identifié au personnage, se retrouve confronté à l’autorité de son père, d’où sa terreur.

Pourquoi va-t-on au théâtre ?

Ce n’est qu’en élucidant les rapports de l’illusion, de l’identification et de l’’image, du spectateur à la scène (et vice-versa) que nous pouvons trouver quelques éléments constitutifs de la réponse ; réponse qui ne peut faire abstraction du discours analytique.

Initialement, l’acteur n’est pas créateur d’images, dans la mesure où on lui confie déjà une histoire, des situations précises, un personnage donné. En un mot, on lui donne une trame, mais encore "inanimée". De même qu’un décor ne s’anime que lorsque le personnage y met sa propre vie, cette trame ne s’aime que lorsque l’acteur la fait vivre, grâce à son identification au personnage. Là, il devient créateur.
Ce que cette identification lui permet, c’est d’extérioriser ses fantasmes. Cette libération n’est possible que parce qu’il n’est pas vraiment lui-même.

L’acteur perd de vue son identité car elle est enveloppée de celle de son personnage, tout le long de la représentation.

Le spectateur s’identifie lui aussi au personnage, mais ne perd pas de vue son identité. Lui, s’il s’identifie, c’est grâce à la condition même du fait théâtral : l’illusion.
La libération de ses fantasmes se produit sous le seul prétexte que c’est du théâtre, et non la réalité. Néanmoins, le cadre que constitue l’espace-temps de la scène, sépare et unit celle-ci au monde, donc à la réalité.
Tout ce qui se passe sur scène, à chaque instant, doit pouvoir convaincre tant l’acteur que ses partenaires et que le public. Il doit lui faire croire en la possibilité dans la vie réelle de sentiments analogues à ceux qu’ils éprouvent sur la scène.
Stanislavski – La formation de l’acteur


Cette petite digression du côté du fait théâtral via le discours analytique me paraissait intéressante… Elle nous permet d’aiguiser notre regard en ce qui concerne le monde réel, la réalité virtuelle, l’illusion, le fantasme etc etc.

Mais alors… Comment considérer les échanges, les interactions qui ont lieu via internet ? Du réel ? Du virtuel ?
Je ne peux les considérer comme virtuels. Les intermédiaires symbolisés par l’écran et le clavier n’annihilent pas l’individu, le "sujet". Seule la vision et le langage sont différents. Est-ce le sujet qui définie le réel ou est-ce son mode de transmission, de communication ?

Et les discours ?

Nous parlons, ou nous écrivons…
Qu’est-ce qui garanti nos dires ?
Minima à poser : il faut qu’il ait au moins un Autre pour confirmer nos dires.
Vigilance à avoir : Celui qui avance un dire serait-il garant d’un fait commun? Par exemple, le racisme n’est-il pas un dire, un délire collectif ?

Le discours scientifique essaie de poser ses preuves hors de lui-même (preuve, expérience, vérification… menant vers une loi, d’où une réalité qui revient toujours à la même place).
Partant de là, on peut se questionner :
Tout discours ne trouverait-il pas sa preuve que hors de lui ?
On ne soumet pas tout discours à l’épreuve de sa preuve… Exemple : "si c’est lui qui le dit, on ne peut qu’y croire").
Suffirait-il de croire pour que cela s’opère ? (ex : il suffit parfois de se dire que quelqu’un vous aime pour que vous l’aimiez)
La psychanalyse et la philosophie s’intéressent à une disjonction : savoir et vérité.
La vérité n’est pas quelque chose que le savoir peut atteindre.
Le réel ne se parle pas. Il est silencieux.
Je sais ce qui est bon pour vous
Qu’un sujet s’adresse à un autre sujet en soutenant ce genre de discours, c’est (selon Lacan) "le comble de l’abjection".
De là on arrive à un :
tais-toi, je vais parler à ta place
Le problème est que la plupart du temps, on ne demande que ça. Selon Freud, c’est notre fantasme qui nous laisse supposer qu’il existe un autre qui sait.
L’abjection, c’est quand il y a un autre qui vient occuper cette place.

Il y a une différence entre "croyances collectives" et "le sens commun"

Exemple : Le racisme est une croyance partagée, sans aucun fondement si ce n’est le partage même de la croyance (sans qu’il y ait à faire preuve de ce sur quoi elle s’appuie). Le nombre suffit pour faire loi.
Les croyances sont des discours qui se posent en place de vérité.
Ce qui fait lien social, ce n’est pas le rapport de vérité inhérent au discours mais le fait qu’on le mette en place de vérité.
La dimension de la parole nécessite et introduit autre chose dont la linguistique ne peut rendre compte. Pourtant, cette autre chose fait partie du fondement de ce qu’on nomme la communication.
L’acte de parler ne s’apprend pas.
Utiliser le langage, répéter des mots, ce n’est pas nécessairement communiquer.
Pour communiquer, il faut déjà être un sujet.

J’en reviens donc à ma question de départ :

Est-ce le sujet qui définie le réel ou est-ce son mode de transmission, de communication ?

Peu de gens seront sans doute arrivés à maintenir leur attention jusqu’à ce point de l’article… Pourtant, chaque élément a une place importante dans l’apparition de ce phénomène des "trolls" et de leurs actions sur facebook…
Je ne vais pas faire de redondance en reprenant ce que j’ai déjà dit dans mes articles précédents sur la question.
Néanmoins, ce n’est pas sans une certaine satisfaction que je vois aujourd’hui que les membres de facebook se sont insurgés en nombre et d’une puissante façon afin de faire cesser leurs agissements.
Aux dernières nouvelles, ces "trolls" seraient en pleine débâcle, annonciatrice d’une extinction rapide.
Peut-être pouvons-nous d’ores et déjà nous féliciter de la ténacité de membres de facebook qui ont fermement décidé de ne pas abandonner leur lieu de partage aux abjections de ces petits groupuscules qui n’avaient de cesse de pourrir des lieux où ils n’avaient vraiment rien à faire.

S’ils veulent jouer tout en gardant une dignité humaine, qu’ils aillent donc s’inscrire dans des cours de théâtre, qu’ils apprennent réellement à construire plutôt que de venir se vautrer ainsi à tort et à travers en des lieux qui ne sont pas des jeux de rôles, qui sont de réelles situations où sillonnent de vrais Sujets.

Lisez, apprenez, faites fonctionner vos neurones à bon escient et cessez de chercher querelles à autrui.

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