Bach Sáu est un incroyable petit bout de femme.
A 88 ans, elle prépare la plupart des repas quotidiens de la maison familiale.
C'est une petite boule d'humour et de bonne humeur à elle seule.
Je la regarde préparer ses feuilles de bétel avec minutie.
Elle les choisit une par une, consciencieusement.
Chaque étape se déroule cérémonieusement, dans le calme et la précision.
Elle attrape une feuille et en coupe délicatement la pointe. Lorsqu'elles sont grandes, elle les divise dans le sens de la longueur.
Puis, à l'aide d'une tête de tournevis, elle prend de la chaux dans un pot, qu'elle dépose sur la feuille qu'elle plie d'abord par les côtés, puis en carré, et pour finir, elle fait un trou dans le carré pour fermer l'ensemble en y plantant la queue de la feuille.
C'est un quotidien rituel auquel s'adonne Bach Sáu, bien plus qu'une simple manutention.
Quelque chose de poétique est présent à chaque étape, elle prend son temps Bach Sáu.
Ce n'est que le lendemain que j'apprends qu'une autre étape se déroule, car les feuilles de bétel préparées se dégustent agrémentées. Ce lendemain donc, je la vois attraper une sorte de lame, un couteau rectangulaire. Au creux d'une passoire, trônent de petites noix verdâtres. Ce sont des noix d'Arec.
Bạch Sáu m'explique que ces noix ont une coque qu'il convient d'enlever mais qui est aussi dure que du plastique. Je la regarde faire, impressionnée par sa dextérité et sa patience...
Noix après noix, elle découpe les coques pour en sortir une tendre noix, celle qui attire tout son intérêt. Ces tendres, noix, elle va les déposer dans une panière en osier qu'elle mettra longuement au soleil. Ce n'est qu'une fois torréfiées au soleil que ces petites noix viendront agrémenter ses carrés de bétel qu'elle prendra un immense plaisir à mâchonner.
Mâchonner ce bétel, ce n'est pas un rituel qui attirerait nous autres occidentaux. Outre la noirceur des dents et des doigts que cela provoque, ce coupe-faim, ce stimulant dont on devient addicte n'a pas nécessairement bonne presse...
Mais regarder Bạch Sáu préparer tous ces ingrédients avec une telle précision, une telle exigence et un tel engouement est un véritable plaisir, une puissante poésie. Voici encore une empreinte qui restera longtemps imprimée dans ma mémoire...
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