Delirium (solo)



Recluse dans un petit appartement, rue de l’Echaudé,
J’attends

Les murs austères, recouverts de vieux papiers peints exhibants des fleurs exubérantes,
J’attends

Des rideaux blancs, une tasse vide où quelques fourmis suçotent le sucre collé,
J’attends

Un coin de fenêtre brisé, par lequel s’infiltre l’air, un vase transparent, trône vermeil de quelques fleurs séchées,
J’attends

Le silence emphatique d’un deuil infini, la morne pénombre de la voûte céleste qui m’endort,
J’attends

De vieux mégots qui traînent ça et là, l’odeur de l’air suffoquant, croupissant dans ce trou,
J’attends

Une bouteille de vodka, maculée de déchets, gît sur le plancher délustré,
J’attends

Le tic-tac inharmonieux d’une vieille horloge pendue au fil de la vérité,
J’attends

L’atmosphère pesante d’un néant distillé, l’empreinte fibreuse du désespoir,
J’attends

L’absolue certitude du doute existant, jeu suprême en pleine perdition,
J’attends

Le regard funambule qui tisse sa toile de fibres illusoires,
J’attends

La candeur d’un tableau, puérile image du bonheur, parasite inhibé par la vérité du malheur,
J’attends

Fourberies du fantasme imprégnant la saveur d’un suc asservi,
J’attends

Artifice exaltant de l’orage intérieur, éclatement dérisoire d’une souffrance apocalyptique,
J’attends

Refuge irradié, émanations maléfiques, funeste hommage d’une mort qui s’évade,
J’attends

Tragique opéra dans l’enfer du silence, éternel prodige rendu impuissant
J’attends

Expiration du délai, échéance fortuite qui dépérit lamentablement
J’attends

Exaspération de l’espoir noyé dans le fumier, pitoyable assesseur
J’attends

Immortelle prison des âmes débauchées, subtiles railleries du désespoir des damnés,
J’attends

Obsession grandissante de l’ignoble cerveau, instigateur légitime de l’enveloppe opaque
J’attends

Un geyser de sang dépouillé, coagulant sur l’ombre d’une sphère,
J’attends

Appétit clandestin d’une sangsue affamée, delirium tremens d’un verre asséché,
J’attends

Amphithéâtre utopique d’un microcosme, sûreté du cadenas clos,
J’attends

Hirondelle temporaire d’un repos, tangible lumière de la nuit,
J’attends

Hémisphère retiré de l’axe de la décadence, hippocampe recroquevillé dans l’Océan de sa folie,
J’attends

Aquarelle déchirée par le graffiti d’une vie fissurée,
J’attends

Extase d’un trombone bouché de salive, ravagé par le pus,
J’attends

Seringue démoniaque gonflée de sels purifiés, qui hante les âmes en dérives,
J’attends

Amnésie bâillonnée par la peur de l’erreur, hippodrome déserté pour cause d’intempéries,
J’attends

Néons mouchetés d’insectes trop tentés, histoire triste d’un film muet,
J’attends

Caresse satanique d’un démon généreux, filiation diarrhéique de la fausse élite,
J’attends

Bague de jade de Judas, émerveillement héroïque de la terreur,
J’attends

Hiérarchie criminelle de signes erronés,
J’attends

Champs de conscience large fendue de l’intérieur,
J’attends

Imitations sporadiques d’une lune exaspérée,
J’attends

Lombric hystérique qui compte ses anneaux,
J’attends

Schizophrénie qui se balance entre l’horreur d’une aiguille et la rondeur d’un cadran,
J’attends

Tache de graisse, dépôt de haine suintant le long de l’arabesque,
J’attends

Nuit paranoïaque suspendue au fil de son mépris, ivresse imminente de l’agile proscrit,
J’attends

Sommier « dé-latté » dans son originalité, placardé au gré  de son inutilité,
J’attends

Quelle est l’ipséité de l’ombre d’une possédée sycophante de l’orgie du siècle ?
J’attends

Sensibilité exacerbée par l’ignominie des chiens, vibrations exilées pour pensées déplacées,
J’attends

Paroxysme flagrant, romantisme éreinté, flamme aseptisée pour une nuit de purification,
J’attends

Le sommeil pénétrant dans le tunnel angoissant d’un crotale virulent,
J’attends

Hiéroglyphes pyramidaux issus de l’espace sidéral de l’ineptie,
J’attends

Rebelle amnistié, despote avilissant l’éloquence et l’intelligence,
J’attends

Ecran aiguillé, sensible à l’éclair incandescent qui court le long de l’horizon magnétique,
J’attends

Accident d’une mouche, qui hurle la misère de ses ailes déchiquetées,
J’attends

Lame désinfectée qui serpente au creux des entrailles,
J’attends

Dans la cellule du poète, l’appel à la mélancolie, refuge inconnu d’un être véritable,
J’attends

Veine de chance désabusée par trop de cupidité,
J’attends

Etoile du passé, mirage du présent, cruelle léthargie de la suspension,
J’attends

Exclusive liberté du doute et de l’incohérente apparence,
J’attends

Ecume sauvage de la bouffonnerie miroitante, dévastatrice de la vérité,
J’attends

Empreinte secrète d’un voyage interdit par les normes restrictives d’une maison close,
J’attends

Appel incertain à la lucidité, mire ouvrant le chemin du Néant,
J’attends

Honorable serviteur en proie au suprême désarroi, irrationnelle récompense du leader acharné des dépravés,
J’attends

Plante épiphyte, suspendue à la voûte d’une branchette, bienfaitrice d’une faiblesse durable,
J’attends

Lobotomie de mon autonomie, sentence sans rémission, observatoire lézardé,
J’attends

Implacable génocide, asphyxie, épilepsie qui submerge ce corps rongé de fatigue,
J’attends
« Sommeil ! Implacable maître dont l’emprise est suprême, accepte mon sacrifice »
j’attends

tourbillon lumineux, dans l’obscurité des lieux, extase et malaise entremêlés,
j’attends

Où est l’inaccessible révélation, la réponse au plus secret de mes songes… futile espoir qui s’évapore dans l’infini sidéral et qui s’éloigne au gré de sa dérision. Je pars moi aussi, au fin fond de mon agonie, que ma folie m’emporte où est sa naissance, mais que vienne sa mort et je ne serai plus qu’une loque. Que sombre l’attente infernale qui sublime mon ultime question, et que vienne l’heure où le néant est maître ; accorde le repos à ma confusion, porte mon âme où règne le silence, pour qu’enfin je puisse dormir.

18 février 1986

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